top of page

Zoom sur un illustre chef-décorateur : Alexandre Trauner

Avec Paris Cinéma Région, nous avons celui qui est peut-être le plus grand peintre de Paris au cinéma.


Hongrois de naissance, Alexandre Trauner (1906-1993) s’est imposé comme le plus célèbre des décorateurs du cinéma français. Son nom est indissociable du fameux « réalisme poétique » popularisé par les films de Marcel Carné et Jacques Prévert, un genre qui interprète le réel en le reconstruisant en studio. Il collaborera ensuite avec d’illustres réalisateurs américains, mais ses attaches demeurent françaises… et surtout parisiennes.

D'Hôtel du Nord à Subway, Alexandre Trauner a reconstitué mainte fois la capitale qui, à travers son regard, a pris toutes les formes.



Les années de formation


Alexandre Trauner a à peine vingt-trois ans lorsqu’il arrive à Paris à la fin de 1929. Formé aux Beaux-Arts de Budapest, il se destine à la peinture et n’a choisi l’exil qu’en raison de la montée du fascisme qui persécute déjà les Juifs dans sa Hongrie natale.

 Presque aussitôt, il trouve du travail comme peintre dans les studios de cinéma d’Épinay, où la compagnie Tobis réalise les premiers films parlants français. Il y sera durant six ans l’un des principaux assistants de Lazare Meerson, le décorateur de films le plus important de cette période. Avec lui, il contribue à forger l’image cinématographique d’un Paris familier, celui des quartiers populaires et des bals sous les lampions, que font connaître à travers le monde des films comme Sous les toits de Paris (1930), Le million (1931) ou Quatorze juillet (1932) de René Clair.


Une autre de leurs plus belles réussites est le film Ciboulette (1933) de Claude Autant-Lara, pour lequel ils reconstituent en studio le Paris de 1830. Le film est particulièrement célèbre pour son prodigieux plan d’ouverture qui va en un seul mouvement des barrières extérieures de la capitale jusqu’aux anciennes Halles, en passant par l’église Saint-Eustache et la fontaine des Innocents. Il raccorde ingénieusement d’énormes maquettes avec le décor des Halles réellement construit au studio de Saint-Maurice.

Durant cette période d’apprentissage, Trauner arpente inlassablement les rues de la capitale avec les amis qui hantent comme lui Montparnasse et Saint-Germain-des-Prés : Jacques Prévert et sa bande de copains du groupe Octobre, ou d’autres exilés hongrois comme les photographes Brassaï et André Kertesz.


Premiers décors


Au milieu des années 1930, Trauner commence à signer ses propres décors, et ses créations pour Drôle de drame (1937) et Le quai des brumes (1938) de Marcel Carné le confirment aussitôt comme le décorateur le plus doué de sa génération.

Décor d’Hôtel du Nord de Marcel Carné, 1938

crédits : Impérial Film, Luca, Sédif Productions


En 1938, il conçoit ses premiers décors parisiens : d’abord pour Entrée des artistes, qui réunit une pléiade de jeunes comédiens autour de Louis Jouvet dans le Conservatoire national d’art dramatique, puis pour Hôtel du Nord. C’est au studio de Billancourt que Trauner reconstruit pour ce film l’imposant décor du quai de Jemmapes et du canal Saint-Martin. Sa création est si réaliste, et le résultat si inséparable de l’imaginaire de la ville, que les Parisiens se mobiliseront, plusieurs dizaines d’années plus tard, pour obtenir le classement de la véritable façade d’un hôtel qui n’était dans le film qu’une illusion de bois et de plâtre.


Le succès n’est pas moindre, l’année suivante, avec Le jour se lève, également de Carné, pour lequel Trauner recrée, toujours à Billancourt, une banlieue indéterminée où le terminus d’une ligne de tramway vient buter sur les plantations maraîchères toutes proches.

Isolé des maisons qui l’entourent, un immeuble unique surplombe tout le décor, pour mieux accentuer la solitude de l’ouvrier assassin incarné par Jean Gabin qui vit, dans sa petite chambre du quatrième étage, sa dernière nuit avant l’assaut des gendarmes.



Trauner demeure actif durant l’Occupation, mais il est réduit à la clandestinité et doit se contenter de dessiner des décors qui seront réalisés par d’autres. C’est ainsi qu’il conçoit ceux, édifiés par Léon Barsacq, du film français le plus important de la période : Les enfants du paradis (1944-1945) de Carné. Les décors y sont très nombreux et variés, mais le plus imposant est certainement celui du boulevard du Temple, le fameux boulevard du Crime le long duquel se pressaient les théâtres au XIXe siècle. Ce grand décor est édifié au studio de la Victorine à Nice et Trauner y fait merveille pour déguiser la brutalité du soleil du Midi en multipliant les reliefs de façades susceptibles d’accrocher les ombres.


L’après-guerre


Réalisé juste après la Libération, Les portes de la nuit (1946), de Carné toujours, doit encore reconstituer en studio, à Joinville et à Vincennes, ses nombreux extérieurs, tous situés au nord de la capitale, entre Barbès et le pont de Crimée. Le plus célèbre est celui de la partie aérienne de la station de métro Barbès-Rochechouart, longée par la circulation automobile du boulevard de la Chapelle, qui sera entièrement reconstituée.

Peut-être moins impressionnants, les décors du bassin de La Villette avec ses péniches, du canal de l’Ourcq ou de la rue des Petites-feuilles n’en sont pas moins des réussites exceptionnelles de réalisme stylisé.



En 1945, Trauner avait laissé à Marcel Magniez le soin de réaliser ses maquettes pour Les malheurs de Sophie de Jacqueline Audry (on y voit la ville de Paris envahie par les barricades de 1848). Quatre ans plus tard, c’est Auguste Capelier qui exécute ses décors pour Manèges d’Yves Allégret. Les appartements bourgeois de Neuilly, le manège et ses dépendances sont reconstitués dans les studios de Neuilly et de Saint-Maurice ; les nombreux extérieurs sont principalement tournés au bois de Boulogne.


Avec les Américains


Trauner est alors le plus fameux des décorateurs français et c’est à lui que s’adressent naturellement les nombreux réalisateurs américains qui viennent tourner à Paris dans les années 1950.

En 1953, pour Un Acte d’amour d’Anatole Litvak, il reconstitue à Saint-Maurice et à Joinville le Paris inhospitalier de la fin de la guerre. Mais le décor le plus remarquable est, en studio, celui du Grand Palais réquisitionné pour cantonner les soldats américains.


En 1956, Ariane marque le début d’une longue collaboration de Trauner avec le réalisateur Billy Wilder en même temps qu’il donne au décorateur l’occasion de reconstituer au studio de Boulogne tout un étage de l’hôtel Ritz, l’intérieur de l’Opéra ou les quais de la Seine. Réalisé avec beaucoup moins de moyens, Du rififi chez les hommes (1954) de Jules Dassin est tourné de façon quasi-documentaire dans les rues mêmes de la capitale (la rue de la Paix et celles près des grands magasins), mais tous les intérieurs sont construits au studio Photosonor de Courbevoie.


Pour Paris blues (1961) de Martin Ritt, qui évoque la bohème des musiciens de jazz américains installés à Paris, Trauner reconstruit en studio le quartier de Saint-Germain-des-Prés et ses fameux temples du jazz. Puis c’est le Paris des quartiers luxueux qu’il reconstitue pour Aimez-vous Brahms ? (1961) et Le couteau dans la plaie (1962) de Litvak, avant de peindre la banlieue plus familière de Gigot, le clochard de Belleville (1962), réalisé par Gene Kelly.


Mais c’est aux États-Unis, dans les studios hollywoodiens de Samuel Goldwyn, que Trauner crée la quintessence de sa vision de Paris. Irma la douce (1963) de Wilder est une évocation colorée et inventive des anciennes Halles, peuplées d’une faune pittoresque de prostituées, de maquereaux et de flics. Trauner revient cependant à Paris pour y construire les décors de Comment voler un million de dollars (1966) de William Wyler et de La puce à l’oreille (1968) de Jacques Charon, qui adapte somptueusement la pièce de Feydeau.



Définitivement réinstallé en France au milieu des années 1970, Trauner y signe les décors de Monsieur Klein (1975) de Joseph Losey, poignante évocation du Paris de l’Occupation. Les extérieurs sont principalement tournés dans le 7e arrondissement et rue des Abbesses. Si l’appartement de Klein, rue du Bac, est reconstruit en studio à Boulogne, le film fait aussi appel à des lieux réels : le cabaret La nouvelle Ève, rue Fontaine, le restaurant La coupole ou le château de La Rochefoucauld à Ivry-la-Bataille.

Subway (1984) de Luc Besson réalise le même pari en mêlant les extérieurs réels du métro et de ses abords à des intérieurs construits en studio. Mais Autour de minuit (1985) de Bertrand Tavernier renoue avec la veine de Paris blues et des décors intégralement édifiés en studio en reconstituant au studio d’Épinay les rues de Saint-Germain-des-Prés et leurs fameux clubs de jazz. Pour Wilder, Trauner situe ensuite les funérailles solennelles de l’héroïne de Fedora (1977) dans le décor réel du musée Jacquemard-André. Puis viennent encore Tchao Pantin (1983) de Claude Berri, filmé en extérieurs naturels à Belleville et dans des studios improvisés dans des entrepôts désaffectés de la région parisienne.




En 1989, enfin, Trauner figure une dernière fois Paris pour Comédie d’amour de Jean-Pierre Rawson. Il s’agit d’évoquer les années 1930 telles que les a décrites l’écrivain Paul Léautaud dans son journal. Mais c’est à Lisbonne que seront reconstitués la maison de celui-ci à Fontenay-aux-Roses, son bureau au Mercure de France et le petit monde des littérateurs parisiens !

En plus de cinquante ans de carrière, Trauner aura été l’un des observateurs privilégiés des transformations du paysage parisien. Il restera surtout dans les mémoires l’un des décorateurs ayant le plus contribué à former, à travers ses créations à la fois réalistes et poétiques, l’imaginaire cinématographique de Paris.



Pour retrouver des décors d'Alexandre Trauner, réels ou reconstitués, vous pouvez suivre les visites Gares et Canal ou La Villette au cinéma.


572 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page