Truffaut cinéphile : cinq coups de coeur parisiens
- JulietteDubois
- 2 avr.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 avr.
Plongez dans l’univers de François Truffaut cinéphile à travers cinq films parisiens qui ont marqué son parcours de critique et de réalisateur. Découvrez les œuvres qui ont inspiré ce maître de la Nouvelle Vague et son amour inconditionnel pour le cinéma parisien.

Le cinéma « comme une drogue »
Dans le livre Les Films de ma Vie (1975), François Truffaut revient sur sa carrière de critique aux Cahiers du cinéma (1949-1956). Il y partage son amour du cinéma, qu'il qualifie de « drogue », et ses souvenirs de jeunesse à Pigalle, où il faisait l’école buissonnière pour passer ses journées dans les salles obscures.
Si la revue a inauguré une nouvelle fois façon de regarder et de parler des films, c’est certainement François Truffaut qui incarne le mieux ce souffle enflammé et libérateur. Des écrits passionnés et passionnants sur tous les films qui pouvaient alors s’offrir à lui.

Amoureux de la capitale, amoureux du cinéma, que pouvait-il finalement exister de mieux pour François Truffaut cinéphile qu’un beau film tourné àParis ?
Casque d’or, Jacques Becker (1952)
Le pitch : À Joinville-le-Pont, Manda, un charpentier de Belleville, tombe amoureux de Casque d’Or, une prostituée parisienne. Mais Leca, le chef d’une bande de voyous, convoite également la belle.
Pourquoi Truffaut aimait ce film : Truffaut admirait profondément Jacques Becker (1906 – 1960), allant jusqu’à rendre hommage à son mentor dans Les Films de ma Vie. Fasciné par le réalisme et l’élégance de Becker, il s’inspirera de son style pour ses propres films, notamment dans la série des Antoine Doinel.
Comme Truffaut admirait un réalisateur, il ne faisait pas les choses à moitié. Les patronymes de certains de ses personnages nous renseignent sur ses coups de cœur (Fanny Ardant interprète Barbara Becker dans Vivement dimanche !). Certaines comédies de couples l’inspireront d’ailleurs directement pour la série des Doinel. Mais le témoignage le plus émouvant du sincère respect que portait Truffaut à Becker vient certainement de ce court texte, publié en 1961, un an après sa disparition : "Il était scrupuleux et réfléchi, d’une délicatesse infinie (…) Attentif à tous les nouveaux films, aux nouveaux cinéastes, facilement admiratif et toujours affectueux, cet homme ne connaissait pas la jalousie professionnelle (…)". En voyant son ami tétanisé à l’idée de ne plus tourner, Truffaut s’était emporté contre le monde artistique et du spectacle, d’une cruauté infinie. Des années après la disparition de Becker, il s’indignait encore qu’aucune étude, qu’aucun hommage digne de ce nom n’ait été formulé à l’égard de cet homme ou de sa carrière.

L’avis de Truffaut cinéphile
Un film brut, qui va droit au but : voilà comment François Truffaut considère Casque d’Or. Becker ne s’embête pas des règles et n’en fait qu’à sa tête et lance un défi constant à la vulgarité : oui, il peut montrer un couple en pyjama, au saut du lit, sans que cela ne soit ni gras ni comique ! Bien au contraire. Admiratif de Reggiani et Signoret « un petit chat de gouttière tout en nerfs et une belle plante carnivore qui ne crache pas sur le fromage », Truffaut vante les mérites de ce « film de personnages » tout aussi plastiquement réussi qu’ingénieux. À tel point qu’il prendra appui sur le génie de Becker dans ce film à chaque fois qu’il rencontrera un problème de scénario !
Les Dames du Bois de Boulogne, Robert Bresson (1945)
Le pitch : Pour se venger de son amant, une jeune femme manipule une danseuse pour le séduire.
Robert Bresson était pour Truffaut un cinéaste à part, dont il admirait la rigueur et l’esthétique minimaliste. Après avoir découvert Les Dames du Bois de Boulogne, il défendra le film contre ses détracteurs, révélant son sens de la justice et son goût pour le cinéma audacieux.

L’avis de Truffaut
C’est en voyant le film applaudi par la salle presque comble d’un ciné-club que Truffaut s’est réjoui de voir Les Dames du Bois de Boulogne gagner son procès en appel, pour reprendre les propres termes de Cocteau, dialoguiste. Alors, Truffaut se met non seulement en rogne contre ces gens qui jugent trop vite les films mais s’indigne aussi du sort de ces cinéastes qui doivent batailler durant des années pour être considérés à la hauteur de leur talent. Sa vocation de critique était né.
La Traversée de Paris, Claude Autant-Lara (1956)
Le pitch : Dans le Paris occupé de 1943, un chauffeur de taxi transporte clandestinement de la viande pour le marché noir, aidé par un peintre rencontré par hasard.
Pourquoi Truffaut aimait ce film : Bien qu’il ait souvent critiqué le « cinéma de papa » de Claude Autant-Lara (1901 – 2000), Truffaut fut séduit par le réalisme mordant de La Traversée de Paris. La description sans fard du Paris sous l'Occupation et l'interprétation magistrale de Jean Gabin en font un chef-d'œuvre pour Truffaut.
Bon à savoir : Claude Autant-Lara est une figure emblématique du « cinéma de papa » que les "jeunes turcs" de la Nouvelle Vague entendaient combattre, ce cinéma de studios, populaire mais poussiéreux, un peu trop industriel à leur goût. En ce sens, il s’est plusieurs fois retrouvé dans le viseur des critiques des Cahiers, et en premier lieu dans celui de François Truffaut. « Un boucher qui s’obstinerait à faire de la dentelle », disait-il de lui. Et pourtant…

L’avis de Truffaut
Pourtant, c’est presque avec plaisir que Truffaut semble reconnaître avoir été bluffé : « Or, si j’admire aujourd’hui et presque sans réserve La Traversée de Paris, si la réussite cette fois me paraît évidente, c’est que Claude Autant-Lara a enfin trouvé le sujet de sa vie, un scénario à sa ressemblance et que la truculence, l’exagération, la hargne, la vulgarité, l’outrance, loin de desservir, ont haussé jusqu’à l’épique ».
Des personnages authentiques et magistralement interprétés, une méchanceté non dissimulée que ne vient à aucun moment troubler un quelconque discours politique ou social. Truffaut est conquis, nous aussi.
Zazie dans le métro, Louis Malle (1960)
Le pitch : Zazie, une fillette espiègle, visite Paris chez son oncle. Tout ce qu'elle veut, c'est prendre le métro, mais il est en grève...
Pourquoi Truffaut aimait ce film : Compagnon de route de Louis Malle (1932 – 1995), Truffaut louait son audace et son humour. Dans une lettre du 25 octobre 1960, adressée à Malle, il confie avoir été ébloui par la créativité et la modernité de Zazie dans le Métro, le qualifiant de film « follement ambitieux ».

L’avis de Truffaut
Dans la lettre envoyée à Louis Malle, Truffaut s’avoue conquis par son film « follement ambitieux et d’un courage immense » pour lequel il est tombé des nues. Première projection et déjà, premiers coups de cœur : scène préférée, plan préféré, personnage préféré… Truffaut dresse ainsi un bilan sur lequel il n’entend pas démordre. Et dans ses mots, on verrait presque ses yeux pétiller de joie. « J’ai rarement souhaité le succès pour le film d’un autre comme cette fois (…) ».
Vivre sa vie, Jean-Luc Godard (1962)
Le pitch : Nana, une jeune vendeuse de disques, sombre dans la prostitution pour survivre à Paris.
Pourquoi Truffaut aimait ce film : Avant leur brouille, Truffaut admirait le style novateur de Jean-Luc Godard (1930 – 2022). Vivre sa Vie, avec son approche expérimentale et sa narration en douze tableaux, touche profondément Truffaut qui avoue avoir pleuré à plusieurs reprises en le regardant.
Bon à savoir : D’abord, ces deux figures de proue de la Nouvelle Vague se sont côtoyés aux Cahiers du cinéma. Amis, admiratif de leur travail respectif, ils ont ensuite signé le court-métrage Une histoire d’eau, en 1961. Et puis, la brouille, la rupture et d’âpres critiques… Un désamour artistique mais aussi un impossible rabibochage entre deux êtres humains fondamentalement différents. Godard traite Truffaut de menteur, ce à quoi il lui retourne une lettre de rupture cinglante : « tu te conduis comme une merde ». Jamais les deux hommes ne se reparleront.
C’est pourtant Godard qui signera la préface des correspondances de Truffaut :
"Et l’on se déchira, peu à peu, pour ne pas être mangé le premier. Le cinéma nous avait appris la vie (…) Notre douleur parlait, parlait, et parlait, mais notre souffrance resta du cinéma, c’est-à-dire muette. François est peut-être mort. Je suis peut-être vivant. Il n’y a pas de différence, n’est-ce pas ?" Jean-Luc Godard, François Truffaut Correspondance (1988) Toutefois, avant cette querelle intestine, François Truffaut s’était, comme à son habitude, enflammé pour le film de celui qui était alors son compère : Vivre sa vie.

L’avis de Truffaut
Auprès de nombre de ses correspondants, il célébrait ce petit bijou. Difficile de savoir véritablement combien de fois il est allé le voir en salle, seul ou en très bonne compagnie : « J’ai revu Vivre sa vie l’autre jour et, mon Dieu, je ne pleure pas souvent au cinéma » (lettre à Helen Scott du 20/06/62) puis « Je suis allé le revoir l’autre jour avec Jeanne moreau et nous avons pleuré comme des veaux trois ou quatre fois » (lettre à Helen Scott du 20/07/62).
Truffaut s’est battu pour que ce film soit distribué, s’est révolté face au refus « de ce con de Halliday » (distributeur américain). Pour lui, il fallait en effet que ce chef d’œuvre soit vu, le plus possible, que l’émotion pure qui s’en dégage touche le plus de spectateurs. Et de conclure : « Il y a des films que l’on admire et qui découragent : à quoi bon continuer après lui ». Tout était dit, donc.
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Découvrez le Paris de François Truffaut cinéphile avec Ciné-Balade
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Vous pourrez trouver une référence à cette balade dans le livre de Philippe Lombard, Le Paris de François Truffaut, paru en 2018 et qu'on vous conseille vivement de lire.
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